Inyulface s’intéresse depuis sa création à la transformation du monde du travail et aux technologies pour la collaboration et l’innovation. On aime expérimenter avec des outils et méthodologies. Mais on n’avait jamais imaginé qu’une pandémie transformerait le monde entier en un laboratoire à ciel ouvert pour la « digital workplace ». Beaucoup ont plus subi qu’accueilli le 100% télétravail, et on peut témoigner qu’il n’est ni possible ni souhaitable pour tous.
C’est pourquoi ce sont plutôt des organisations du travail hybrides qui se développent. Une partie de la semaine à la maison, l’autre dans l’entreprise, mais aussi dans des « tiers-lieux » comme les espaces de coworking. Voici notre regard sur cette tendance de l’hybridité. Avec un éclairage sur Montréal Cowork (d’où nous avons en partie écrit cet article).
Le point sur le télétravail en Amérique du Nord
Pour commencer, on sait tous que le télétravail ne s’est pas toujours fait dans de bonnes conditions. Avec des bureaux improvisés sur des coins de tables et les enfants à gérer, tout en survivant à des marathons de « Zoom ». Mais la Covid a radicalement transformé les habitudes des entreprises et des salariés.
Avant la pandémie, aux Etats-Unis 5 millions d’employés travaillaient à la maison au moins la moitié du temps, soit 3.6% de la masse salariale. D’ici fin 2021, entre 25% et 30% des travailleurs devraient travailler de chez eux plusieurs jours par semaine (source Global Workplace Analytics).
Au Canada, 3.4 millions de personnes travaillaient à distance au début de la crise (17% des 20 millions comptés comme population active). En août dernier, 2,5 millions (les ¾) déclaraient toujours travailler de la maison. (Source Statistique Canada, enquête sur la population active Août 2020). En fait 45% des canadiens aimeraient continuer à travailler à distance au moins 3 jours par semaine, et ¼ préfèreraient des horaires flexibles (Source étude ADP Canada et Maru/Blue).
D’après la même étude, le travail à distance n’a pas eu d’incidence notable sur la productivité, la qualité du travail ou les heures de travail. Et même 45% des canadiens qui travaillent de la maison pensent qu’ils auront des occasions de promotion et d’avancement professionnel équivalentes à leurs camarades qui travaillent du bureau. Les Québécois sont d’ailleurs les canadiens les plus optimistes sur ce sujet (64 % comptent bien continuer de gravir les échelons depuis la maison).
Avantages et risques du télétravail
Comme on est optimistes, voici d’abord les points positifs : télétravailler c’est gagner du temps sur ses déplacements professionnels. Et pour l’entreprise ce sont des économies en immobilier et frais de déplacement. Merci Capitaine évidence ! D’autres avantages apparaissent dans de nombreux témoignages. Les salariés sont plutôt contents d’avoir moins d’interruptions par des collègues qui déboulent dans leur bureau. Ils apprécient aussi de pouvoir manger des repas faits maison, moins chers et parfois plus équilibrés. A condition de savoir cuisiner ou de se faire livrer des bons petits plats.
Mais le télétravail a aussi ses risques. Risques pour la carrière, en étant coupés de certains canaux de communication informels. En laissant se développer dans l’entreprise une culture du « nous » au bureau contre « les autres » à la maison. Et tout simplement de ne pas être dans les bons wagons pour la prochaine promotion. Parce que « loin des yeux, loin du cœur ».
Un nouveau métier : « head of remote »
D’ailleurs quand on parle de culture d’entreprise, comment faire pour la transmettre et tout simplement la créer quand les échanges sont virtuels ? Une partie de la réponse pourra venir d’un nouveau métier qui a maintenant le vent en poupe, « head of remote» (Source Washington Post). Pour le moment c’est surtout une tendance dans les entreprises high-tech mais la mission est intéressante. A la fois anticiper les besoins des travailleurs à distance et aider l’entreprise à se projeter dans une nouvelle organisation du travail à distance.
En mai, Facebook a ainsi posté une annonce pour recruter un « chief remote officer ». Sa mission sera de coordonner une équipe transverse et cross-fonctionnelle de directeurs pour faire la transition vers le travail en remote. Même dynamique chez Okta (éditeur cloud dans la gestion des identités), Quora (le réseau social de questions et réponses), Gitlab (éditeur open source) ou encore le constructeur informatique Hewlett-Packard.
Ces perles rares ont souvent une double culture RH et IT. Parce que les missions du “head of remote” sont au croisement de différents métiers et fonctions de l’entreprise. Il pourra par exemple produire des guidelines pour réduire les meetings et jongler avec les time-zones. Ce responsable sera aussi un relai avec les équipes juridiques pour les questions fiscales liées aux déménagements de salariés. Il organisera des évènements en ligne pour maintenir la culture d’entreprise. Enfin, il pourra être le représentant des salariés en “remote” pour les questions touchant à leur évolution de carrière et rémunération.
De nouveaux risques à anticiper
Autre défi : intégrer dans les équipes de nouveaux profils de collaborateurs qui ne sont pas à temps plein. On parle là des consultants extérieurs et « employés à la demande ». Dans le jargon US des ressources humaines on parle de « liquid workers » (source Forbes). Des gens agiles et motivés, mais qu’il faut réussir à intégrer dans l’entreprise et orchestrer les missions. Quid des risques aussi pour ces experts ? Comment faciliter leur collaboration avec les équipes permanentes ?
On comprend aussi que la mission du « head of remote” est, en plus des risques « business », d’anticiper de vrais risques à long terme. Pour l’entreprise et pour la santé des collaborateurs. Des risques qui amènent aujourd’hui les pays à vouloir moderniser les lois qui encadrent le travail. (Source Radio-Canada) Car la santé et la sécurité des employés sont en jeu, avec la prévention du surmenage et le « droit à la déconnexion ». Parce que quand il n’y a plus de distinction ni d’horaires entre la maison et le bureau et que les journées ressemblent à des tunnels de réunions virtuelles le risque de « burn out » est lui bien réel.
En fait le « sweet spot » serait de deux à trois jours par semaine en télétravail. C’est ce qui permettrait un équilibre entre des temps de travail en concentration à la maison, et des temps de collaboration au bureau (source Global Workplace Analytics 2020).
Un nouveau monde du travail « hybride » est possible
Mais en fait, un autre modèle de travail est aussi possible. Le “head of remote” peut aussi être un “head of hybrid workplace”, comme l’appelle Liz Burow, ancienne VP de la stratégie workplace de WeWork. Elle conseille maintenant les entreprises sur ces enjeux (Source Washington Post).
“Attention Buzzword ! Déjà que le Digital Workplace manager avait de la difficulté à expliquer son métier. Là, un nouveau mot arrive mais en réalité c’est la même chose. C’est une fonction qui coordonne les outils collaboratifs dans l’entreprise. Donc il y a de fortes chances que ça existe déjà.”
Mathieu Chartier, Inyulface Lab.
De plus, les salariés sont plutôt favorables à cette idée. Au canada, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés a aussi sondé ses membres. Il confirme que les employés opteraient pour une formule hybride maison-bureau. Une précision importante : selon eux, les rencontres dans les locaux de l’entreprise doivent être maximisées. (Source La presse.ca)
Mais l’hybridité ne se limite pas au choix bureau ou maison. Des tiers lieux comme les espaces de Coworking permettent de retrouver des temps de collaboration avec collègues, partenaires ou clients. Sans concentrer tous les collaborateurs dans les bureaux. Une solution intéressante pour réduire les risques en tant de Covid, en limitant la concentration de personnes. Mais aussi pour garder les avantages du bureau en dehors du bureau : des infrastructures, des outils, des rencontres humaines. Et un lieu familier où on peut avoir ses habitudes. C’est important, souvenons-nous de l’échec des bureaux volants adoptés notamment par les grands cabinets de conseil en organisation.
Le rôle clé des espaces de coworking
Les témoignages d’entreprises ayant signé des contrats avec des coworks se multiplient donc. Certains signent des contrats pour l’entreprise, d’autres allouent des budgets à leurs collaborateurs. L’idée : leur permettre de louer à la demande des salles de réunion proches de leurs domiciles ou clients.
Un exemple anglais avec la société Novos. Oui, encore un acteur IT, expert du SEO (source BBC). Ils avaient avant la pandémie signé un contrat pour des bureaux chez WeWork, avant de finalement attribuer un budget à chaque collaborateur. Un choix qui ouvre aussi des pistes de recrutement. Car leurs équipes étaient à l’origine surtout basées à Londres, mais ils ont à présent des collaborateurs aussi en Pologne.
Une tendance confirmée par l’Organisation Internationale du Travail. L’OIT estime que, dans les pays à revenu élevé, 27 % des travailleurs pourraient travailler depuis leur domicile. Leurs types d’emplois et accès aux technologies et infrastructures le permettent. Mais, cela ne signifie pas qu’ils continueront de travailler à distance. Certains préféreront travailler un peu à la maison et un peu au bureau.
Mais la 3ème voie du tiers lieu est aussi conseillée (Source Nations Unies et OIT). « Travailler plus près de chez soi ou d’où on veut, comme dans des espaces de travail partagé, va se développer aussi », assure ainsi un expert de l’OIT. C’est le coauteur de l’étude « Working anytime, anywhere » (Travailler n’importe quand, de n’importe où) réalisée pour Eurofound, fondation de l’Union européenne pour l’amélioration des conditions de travail. Une étude de 2017 qui reste pertinente aujourd’hui.
“A l’échelle du Québec imaginez l’impact sur l’organisation du travail et les recrutements. Des collaborateurs peuvent habiter à une heure de Montréal et se retrouver pour des réunions de travail dans un CoWork à Montréal ou dans Brome-Missisquoi, Joliette, Québec.”
Mathieu Chartier, Inyulface Lab.
Inyulface a choisi un mode de travail hybride, entre maison et cowork
C’est ce type de travail « hybride » que nous avons adopté, en partageant notre temps entre nos domiciles et un bureau à Montréal CoWork. Pour nous c’est un « hub » facile d’accès, près du Métro Mont-Royal. Le coworking nous permet de disposer de ressources adaptables à nos projets. Comme par exemple des salles de réunion toutes équipées, des espaces de brainstorming, une cafétéria. Et un studio de podcast audio-vidéo que nous avons créé sur place.
Mais un élément encore plus important que ces ressources techniques nous a fait choisir un Cowork, plutôt qu’un bureau individuel quelque part dans Montréal. L’énergie collective de la « ruche ». Et oui, les humains sont des animaux sociaux. On a besoin d’échanger avec d’autres entrepreneurs, de partager un café, de participer à un after-work, de rire ensemble (même derrière un masque).
On n’est pas les seuls ! Le cerveau humain est en fait programmé pour avoir envie d’interactions sociales. Celui des souris aussi. Et les recherches en neurosciences commencent juste à le mesurer, pour comprendre comment fonctionne notre régulateur interne à interactions humaines. Un joli petit thermostat qu’il ne faut pas dérégler, pour éviter maladies mentales, envies suicidaires et autres addictions (Source MIT Technology Review).
Eclairage Montréal Cowork
“On le constate chaque jour avec les entreprises présentes à Montréal Cowork : les équipes ont besoin de se voir dans un même espace de travail pour nouer des liens forts entre elles et bien collaborer. En fait, on a tous cette tendance naturelle à développer des liens interpersonnels étroits. Non seulement avec les individus, mais aussi des objets, des lieux. D’où l’importance de son espace de travail. On appelle cela la propinquité (du latin : propinquitas, « proximité »). Et cela influence la façon dont on peut concevoir et aménager des bureaux pour avoir une bonne cohésion d’équipe.”
Francis Talbot, fondateur de Montréal Cowork.
Le lieu du travail est important pour favoriser l’innovation
Ces interactions humaines sont importantes à la fois pour la créativité et pour l’équilibre mental. On est donc pas étonnés qu’elles soient aussi importantes pour l’innovation. Une étude de la Northwestern University (Illinois) confirme ainsi que pour l’innovation comme pour l’immobilier ce qui compte c’est « l’emplacement » (« location, location, location ! ») (Source FastCompany).
Les grandes innovations auraient plus de chance de se développer dans des villes ayant une population d’au moins 1 million de personnes. C’est le cas de villes comme Dallas, San Diego, San Antonio, Phoenix, et Houston. Elles peuvent aujourd’hui attirer des talents qui étaient avant concentrés sur San Francisco, New-York ou Washington. Une bonne nouvelle aussi pour Montréal et ses 2 millions d’habitants, même si les départs de familles vers les proches banlieues se sont accélérés ces derniers mois (Source : Journalmetro.com).
Attention, il est encore trop tôt pour comprendre tous les mouvements de population autour des grandes villes. Par exemple des grands noms de la Bay Area comme Twitter, Square, et Facebook ont annoncé basculer en 100% « remote ». Ce qui provoque des fermetures de bureaux et commerces sur San Francisco. Mais d’autres comme Google et Salesforce prévoient toujours de rouvrir leurs bureaux en 2021. Google entretient un peu le flou sur ce sujet complexe, en mettant en avant sa culture du « travail distribué » avec des salariés dans 30 bureaux différents qui travaillent sur son navigateur Chrome. (Source The Verge).
“Nous pensons donc que les tiers lieux comme les cowork ont un rôle à jouer dans cette équation. En permettant aux entreprises de garder un lieu d’interactions humaines dans une zone géographique qui attire les talents. Si on prend une analogie du monde des réseaux, le cowork peut jouer le rôle de concentrateur du réseau.”
Mathieu Chartier, Inyulface Lab.
Car il ne fait pas confondre productivité et croissance durable
Sans ces lieux « concentrateurs », les salariés ne sont véritablement reliés à l’entreprise que par le fil des réunions Teams Meeting, Zoom, Skype, et autre Google Meet… Alors oui, depuis 6 mois les entreprises n’ont pas forcément constaté d’impact négatif du télétravail sur la productivité des salariés. Au contraire même. C’est vrai qu’il y a de nombreux outils merveilleux pour travailler et collaborer à distance. On en teste beaucoup, mais on sait aussi qu’ils n’ont pas réponse à tout.
Car une entreprise ultra connectée et productive n’est pas forcément une entreprise durable. Pour durer et croître, une entreprise a besoin d’innover. C’est ce qui lui permet de toujours garder une longueur d’avance sur ses concurrents et sur l’évolution des besoins du marché. Or pour innover le lien social reste important.
Souvenons-nous de l’exemple d’IBM qui pendant 20 ans a mis en place le télétravail pour 40% de ses 386 000 salariés. Pour en 2017 faire revenir tout le monde au bureau, parce que « le télétravail avait tué la créativité ». Même son de cloche à l’époque pour Yahoo ou Google. On comprend donc leur frilosité à décréter à présent du 100% « remote » ! (Source Zevillage)
Et pourquoi pas des tiers-lieux au soleil ?
Pour conclure sur un clin d’œil aux “Snowbirds“, l’industrie du tourisme aussi a une carte à jouer dans ces stratégies hybrides.
Sunwing a ainsi dévoilé de nouveaux forfaits dans le Sud appelés « Surclassez votre bureau ». La cible : les gens qui voudraient faire du télétravail au bord de la mer plutôt que dans leur salon. Et réseauter avec d’autres télétravailleur au Club Diamond de l’hôtel. Sunwing a conçu cette offre avec les hôtels 5 étoiles All-In Luxury de la chaîne Royalton, pour des voyages vacances-travail de 14, 21 ou 28 nuitées. Tentant, si vous avez le budget pour. Et à condition bien sûr de respecter la quarantaine en revenant au Canada. (Source et détails : Journal de Montréal)
Sinon nous, on envisage d’équiper notre bureau au Cowork avec une lampe à bronzer. Si vous avez des suggestions de modèles et un retour d’expérience, on est preneurs !