Nous avons suivi ce mercredi une rencontre virtuelle dédiée au Métavers / Metaverse, organisée par Michael Albo, CEO du Data Science Institute et animateur de la communauté Data Driven Montréal. « Metaverse : du récit à la réalité ». Pour en discuter sans langue de bois, deux experts francophones de l’informatique et du numérique avec deux visions bien différentes du métavers : Alain Lefebvre et Philippe Nieuwbourg. Et vous vous demandez peut être pourquoi les acteurs de la data s’intéressent au métavers ? La réponse courte : parce que « Les volumes de données et les capacités de calcul concernés font de ces mondes virtuels, le big data de 2030 ».
Deux éclairages complémentaires sur le métavers
Alain Lefebvre est un pionnier francophone de l’informatique et un écrivain qui n’hésite pas à se frotter aussi à la science-fiction. Il a été le cofondateur de la société de service informatique SQLI en 1990 et du premier Réseau social professionnel en France, 6nergies.net en 2004. Chroniqueur avisé de l’évolution des technologies, il publie actuellement sur le blog de Redsen Consulting, en particuliers ces derniers mois sur le Metaverse, ses conséquences, ses prolongements et ses chances de succès.
Philippe Nieuwbourg est un journaliste, formateur, auteur et passionné de données sous toutes ses formes. Il est le fondateur du média Decideo.fr, dédié au big data et à la Business Intelligence. Il s’est donc naturellement lui aussi intéressé au métavers qu’il voit un catalyseur de technologies et d’usages professionnels en développement depuis des années : réalité virtuelle et augmentée, jumeaux numériques, analyse du comportement client, réactions en chaîne… Il vient d’ailleurs de lancer un média francophone dédié au métavers : Metaneo.fr
Et quelques chiffres pour comprendre la bulle médiatique autour du concept de métavers : d’après Gartner, 54 Milliards de dollars auraient déjà été dépensés en bien virtuels, soit le double des achats de musique. Et d’ici 2026 plus de 25% des gens devraient passer une heure par jour dans le metaverse. D’après JP Morgan le marché du métavers serait estimé à 1 trillion de dollars à terme et même 8 trillions pour Goldman Sachs.
Le métavers est-il à notre porte ?
Comme le rappelle Alain Lefebvre, une firme comme Gartner est une « machine à hype » spécialisée dans le lancement de modes technologiques. L’emballement actuel est donc prématuré et comparable à celui qui avait accompagné le lancement de Second Life en 2003.
Il est donc beaucoup trop tôt pour parler de métavers au sens stricte de la définition de Matthew Ball (investisseur, ancien responsable de la stratégie d’Amazon Studio). Le métavers devrait notamment être immersif, persistant, synchronisé, et sans limites, ce qu’il n’est pas actuellement. Pour clarifier, Alain Lefebvre propose cette définition en une phrase : le métavers doit permettre de « plonger DANS l’internet plutôt que simplement surfer SUR le web ». Or selon lui aucun acteur du marché n’est encore prêt à offrir une réelle expérience de metaverse, à ne pas confondre avec les univers virtuels déjà accessibles comme Minecraft ou Fortnite.
Alain Lefebvre estime que « l’infrastructure actuelle devrait progresser d’un facteur de 1000, avec des années de progrès à marche forcée, pour rendre possible le metaverse ». Et ce dans un contexte d’écrasement des progrès techniques avec un ralentissement de la loi de Moore. Si l’histoire de l’informatique se répète, il faudra donc attendre des décennies avant de voir les évolutions techniques nécessaires au métavers. Conclusion « il est urgent d’attendre car le métavers est un concept et pas encore une réalité ».
La blockchain peut-elle rendre possible le metaverse ?
Attention aussi à prendre avec un grain de sel ce que vous pourriez lire autour du Web3 : la nouvelle génération de technologies du web basées sur la technologie des chaînes de blocs (blockchain), par opposition au Web 2.0 qui désignait le web « social ». Car le Web3 serait un candidat à être l’élément central de la prochaine vague informatique, pour compléter le métavers ou le remplacer. Mais pour Alain Lefebvre les promesses actuelles du Web3, notamment l’idée de se débarrasser des intermédiaires, seraient actuellement une « mauvaise plaisanterie » qui aboutit au contraire à une multiplication des intermédiaires. Pour comprendre tout le fond de sa pensée, son billet de blog « Un état des lieux sans concessions sur le Web3 ».
Et si le métavers était déjà là ?
Pour Philippe Nieuwbourg, le métavers peut aussi être vu comme une agrégation de mondes numériques qui existent déjà. De nombreux usages sont donc déjà possibles dans différents univers, pour jouer, acheter des terrains virtuels (notamment Sandbox) et construire sa présence. Philippe va même jusqu’à comparer l’achat d’un petit terrain virtuel à la démarche d’achat d’un nom de domaine sur internet.
Mais en observateur avisé des usages professionnels, il souligne surtout l’intérêt de construire des jumeaux numériques dans un univers virtuel (par exemple avec la plateforme 3DExperience de Dassault Systemes), afin de tester des produits ou services. La formation est aussi déjà un domaine clé pour les expériences virtuelles, par exemple pour former en toute sécurité à des tâches complexes (on pense aux ouvriers des plateformes pétrolières ou minières). Autre application majeure ou « killer app » pour attirer les visiteurs dans le métavers : le sexe virtuel ! Nous vous laisserons fouiller si cela vous intéresse, car après tout l’industrie du sexe a toujours été en pointe dans l’adoption des technologies web.
En conclusion pour Philippe Nieuwbourg, nous disposons déjà des 3 briques technologiques de base pour construire le futur metaverse : l’infonuagique (cloud), les données volumineuses (big data) et la chaîne de blocs (blockchain). Il ne manquera plus que la notion la plus importante pour faire LE métavers unique : l’interopérabilité des différentes technologies et plateformes, pour réussir l’agrégation des mondes numériques.
Mais alors, il est là ou pas là le métavers ?
Si vous voulez une réponse tranchée pour déterminer si le metaverse est déjà là ou pas encore là, nous on va plutôt vous répondre qu’il est dans ces deux états superposés… et donc peut-être quantique.
Plus sérieusement, pour déterminer s’il est déjà temps pour votre entreprise d’investir dans le métavers, Philippe Nieuwbourg vous conseille de vous poser ces 3 questions :
- Mon domaine d’affaires est-il en train de devenir majoritairement numérique ?
- Ai-je déjà utilisé toutes les formes de communication numérique disponibles ?
- Ouvrir de nouveaux canaux numériques sera-t-il créateur de valeur ?
Si vous avez répondu « oui » à ce trois questions, vous êtes mûrs pour investir dans le métavers (on pense notamment aux acteurs de la banque et de l’assurance !) Si non, restez pour le moment en phase d’observation du marché.
A suivre…
De notre côté, nous continuerons d’expérimenter les différentes plateformes d’univers virtuels afin de comprendre les technologies et les usages futurs du métavers. Y compris les usages surprenants nés de l’imagination débridée des utilisateurs, comme le club équestre féminin créé dans le jeu vidéo « Red Dead Redemption » !
En complément notre article « Perdu dans le métavers ? Une belle cartographie pour vous en sortir ».